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Last modified by Ludovic Dubost on 2019/06/17 20:28

Tristan a posté un billet sur Firefox et les innovations perturbatrices (Disruptive Innovations en anglais).

Comme l'a expliqué Tristan, ce concept vient de Clayton M. Christensen dans son livre intitulé The innovator's dilemma.

Un peu de recherche sur Internet montre que le Logiciel Libre entre tout à fait dans la catégorie "Low-end disruption" qui est une forme d'innovation pertubatrice.

Clairement, le business model du logiciel libre permet de faire des choses de qualité en baissant énormement les coûts grâce à une relation différente entre le client et le fournisseur et par la mise en commun du code.

L'innovation est ici clairement perturbatrice car le fonctionnement du marché des logiciels libres est très différent de celui dans lequel les éditeurs classiques vivent.

La structure du business d'un éditeur classique est très centralisé:

- Un editeur au centre (propriétaire du code), des partenaires (VAR, ISV, OEM - Tristan se rappelera sûrement des ces superbes sigles).

  • Une approche marketing produit assez lourde, qui coûte cher aussi bien en developpement qu'en spécifications.
  • Des commerciaux qui coûtent cher pour demarcher les clients et leur expliquer pourquoi le produit est meilleur que ce qu'ils ont déjà.
  • Forcement avec des coûts importants, il faut un prix important pour rentabiliser la structure, donc le client qui finalement va acheter va payer cher et surtout une fois que le fournisseur a mis le pied dans la porte il va y avoir des coûts cachés pour faire monter la facture à posteriori (technique du lock-in d'autant plus rentable grâce au modèle propriétaire).
  • Et comme le prix est cher, il faut encore plus des commerciaux chers pour parler aux services achats et aux Directeurs financiers.

    Si on regarde ce qui commence à ce faire au niveau business dans le domaine du logiciel libre (je ne parle même pas des projets "communautaires" ou de type "consortium" qui sont encore une autre forme):

    - Hyper-distribution du logiciel.

  • réduction des coûts de test et developpement grâce au feedback utilisateur.
  • réduction des coûts de marketing car ce sont les utilisateurs qui font la publicité du logiciel.
  • force de vente très faible qui réagit aux demandes clients plutôt que de vendre proactivement.
  • développement partagé avec les utilisateurs et les clients.

    Comme les coûts sont faibles, on peut vendre moins cher. En vendant moins cher, on reduit les blocages dans les sociétés qui font qu'elles peuvent acheter facilement.

    Pour vous donner un exemple, nous avons signé comme client une entité d'un grand groupe qui a un service achat très bien structuré. Mais le niveau de prix de XWiki a fait que ces services avaient des projets bien plus importants pour lesquelles serrer les coûts. En final vendre notre produit à cette société n'a pas été plus compliqué que le vendre à une PME autonome.

    Je vous conseille cet excellent article de Joel Splosky sur ce qui fait le prix d'un logiciel (et surtout inversement le lien ou l'absence de lien entre le prix et la qualité intrinseque du logiciel).

    Ainsi nous voyons deux modèles de vente qui sont capable de fonctionner (le modèle Open Source est aujourd'hui validé par des sociétés comme RedHat, JBoss Inc. ou MySQL).

    Mais il est clair qu'il ne semble pas du tout évident pour les sociétés dites "classiques" de passer vers le modèle "open source".

    Que feront-elles de leur force commerciale spécialisé "Directeurs Financiers", et des voitures de fonction associés ? Comment passer son code en "ouvert" et tirer bénéfice de la communauté quand ce code a des années et n'est pas structuré comme la communauté l'attends ?

    De ce point de vue la, le logiciel libre est clairement un "Disruptive Innovation". Il remet en cause la façon dont les sociétés sont structurés pour apporter de la valeur logicielle (et services) aux clients finaux. Forcement ces sociétés et leur employés n'ont pas interêt à ce que cela change (les commissions du commercial sont bien utiles pour payer les traites du 4x4). Du côté des clients non plus, certains n'ont pas interêt à ce que cela change. Des prix élevés justifient le travail du service achat ? Comme l'explique régulièrement Alex, les croissants sont bons dans les conférences des éditeurs propriétaires et c'est toujours sympa de regarder un match de rugby des 6 nations dans la loge d'un éditeur de logiciel (je l'ai fais, et je confirme que c'est vraiment sympa !). Puis avec l'open-source va peut-être falloir bosser un peu plus et peut-être même être directement responsable de certains projets (quoi ? moi, directeur informatique ? responsable de la réussite d'un projet ? sans pouvoir dire que c'est la faute à Microsoft qui a laissé plein de bugs dans Exchange 200X ?)

    Bref, un certain nombre d'acteurs ont clairement intérêt au status-quo. Et pendant ce temps la, les euros se transforment en dollars et prennent l'avion pour finir dans les poches de Bill Gates et des actionnaires d'IBM.

    Mais le logiciel libre est une innovation pertubatrice et ce n'est donc qu'une question de temps. Les interêts particuliers ne font que ralentir le processus et petit à petit va se construire une industrie du logiciel libre solide et efficace qui s'imposera d'elle-même. Ceci va se faire progressivement domaine par domaine. Mais c'est une tendance qui s'imposera inexorablement car le modèle replace les éditeurs logiciels dans une position plus raisonnable vis-à-vis des clients et est clairement plus efficace en terme de coûts à qualité équivalent sur le produit fini. Et la peut-être on aura un peu plus de sociétés européennes dans ce paysage et les euros se transformeront un peu moins en dollars pour prendre l'avion.